17 janvier 2008

Sarkozy attendu sur la laïcité lors de ses voeux aux représentants des religions

Par Philippe ALFROY(AFP) - Nicolas Sarkozy devrait revenir jeudi, lors de ses voeux aux corps religieux, sur la place de choix qu'il réserve à la religion dans la société et sur sa conception de la laïcité, dans la foulée de deux discours très polémiques prononcés à Rome puis Ryad.

Après avoir vanté le mois dernier devant des dignitaires de l'Eglise catholique les "racines chrétiennes de la France", le président français a une nouvelle fois exalté lundi l'héritage "civilisateur" des religions, cette fois en Arabie saoudite devant des dignitaires du très rigoriste régime saoudien, à chaque fois dans des termes inédits pour le chef d'un Etat laïque.

Les convictions du nouveau locataire de l'Elysée sur l'importance de la religion ne constituent pas une surprise. Dès 2004, celui qui était alors le ministre de l'Intérieur, et des cultes, les avaient "rodées" dans un livre d'entretiens (La république, les religions, l'espérance) avec le père dominicain Philippe Verdin et le philosophe Thibaud Collin.

En recevant le 20 décembre le titre de chanoine honoraire de l'église romaine de Saint-Jean de Latran, Nicolas Sarkozy a donc pris ses distances avec la conception de la "laïcité à la française", incarnée par la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Insistant sur les "racines chrétiennes de la France", le président lui a clairement préféré une laïcité dite "positive", c'est-à-dire "qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas les religions comme un danger, mais un atout". Sans craindre de choquer, il a critiqué une laïcité "épuisée" et menacée par "le fanatisme", allant jusqu'à juger de l'intérêt de la République d'avoir "beaucoup d'hommes et de femmes" qui "croient" et qui "espèrent".

Même si Nicolas Sarkozy a pris soin de préciser qu'il n'était pas dans ses intentions de "modifier les grands équilibres" de la loi de 1905, ses propos ont, sans surprise, suscité des réactions courroucées.

Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a vu dans la "laïcité positive" du chef de l'Etat "une vieille rengaine de la droite la plus cléricale", et le numéro un du MoDem François Bayrou, qui ne cache pas sa foi catholique, un retour à une religion "opium du peuple".

Les cendres de la controverse à peine refroidies, Nicolas Sarkozy a récidivé lundi à la faveur de son séjour en Arabie saoudite, devant les 150 membres du Conseil consultatif (Majlis ach-Choura) du royaume. A côté de propos convenus dénonçant l'intégrisme, "négation de l'Islam" et réaffirmant sa volonté d'éviter "le choc des civilisations", le président a une nouvelle fois franchi les limites observées par ses prédécesseurs sur le sujet en rappelant les "racines religieuses" du monde.

"Dans le fond de chaque civilisation, il y a quelque chose de religieux", a-t-il assuré, estimant que "c'est peut-être dans le religieux que ce qu'il y a d'universel dans les civilisations est le plus fort".

Le discours du chef de l'Etat a même pris des accents de sermon lorsqu'il a évoqué "Dieu qui n'asservit pas l'homme mais qui le libère", "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le coeur de chaque homme" ou encore "Dieu qui est le rempart contre l'orgueil démesuré et la folie des hommes", pour regretter que son message ait "souvent été dénaturé".

A un député de gauche qui s'inquiétait de ces propos, la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a rappelé mardi qu'il n'était pour l'heure pas question de "réformer" la sacro-sainte loi de 1905.


Spectaculaire renversement sémantique: les religions, connues jusqu'à présent pour leur intolérance, leurs croisades, leurs Inquisitions et leurs justifications de tous les crimes commis par les états au cours des siècles (dont l'esclavage et les crimes colonialistes) sont maintenant présentées comme "civilisatrices".
En ne critiquant que les excès des religions, on oublie que le germe de l'intolérance est présent même chez les "porteurs sains", comme en témoigne le tollé religieux contre la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo.

"Laïcité positive"

On peut légitimement s'étonner des dernières déclarations du président de la république sur la "laïcité positive".

En effet, a-t-on jamais vu un athée ou un agnostique appeler à la croisade contre les religieux ? Appeler au conflit des civilisations ? Demander l'interdiction des pratiques religieuses ? Proclamer le jihad contre l'Église Catholique ? Tuer un docteur refusant de pratiquer des avortements ? Demander que l'athéisme soit nommé religion d'Etat ? Exiger l'inscription de la religion pratiquée sur la carte d'identité ? Demander l'enseignement de l'athéisme en cours de sciences ? Imposer une tenue vestimentaire spécifique à ses enfants ?

Pourquoi s'en prendre ainsi à des gens dont la tolérance est déjà largement supérieure à la moyenne, plutôt qu'à ceux qui propagent la haine religieuse au nom de leur propre religion et qui menacent directement les valeurs de notre république, dont le président est censé être le protecteur ? Ou se trouve l'ennemi de la démocratie, de la pluralité des opinions et de la liberté (privée) des pratiques religieuses ? Faudrait-il revenir trois siècles en arrière et instaurer une monarchie de droit divin pour rassurer les religieux, inquiets sans doute des appels au meurtre d'athées assoiffés de sang ?

Que notre président se prête aux simagrées consistant à lui conférer le titre "d'unique chanoine honoraire" de Saint Jean de Latran, conformément à une tradition de quatre siècles, passe encore. Souligner les racines chrétiennes de la France et rappeler l'expression "fille aînée de l'Église" à la rescousse, au mépris des avancées de la civilisation que l'on doit aux athées ou à des individus pratiquant une autre religion, voilà qui devient fâcheux. Mais quel besoin pour autant de stigmatiser soudain la partie de la population la plus respectueuse et représentative des valeurs de la république ?

Rappelons-donc à notre président que, en tant que divorcé, il est excommunié de l'Église Catholique. Rappelons que son remariage n'est pas non plus reconnu par l'Église Catholique, pour qui il vit donc "dans le péché", chanoine ou pas chanoine. En le recevant, sans doute le Pape faisait-il preuve, à son sens, d'une grande tolérance à son égard, de celles qu'aucun athée n'a jamais nié à personne.

Faudrait-il s'en émerveiller ?