Que cache l'Université interdisciplinaire de Paris (UIP) ? Simple association philosophant sur les relations entre science et théologie ou fer de lance de l'importation du néocréationnisme en France ? Le contexte international rend ces questions sensibles. Aux Etats-Unis, les avocats du "dessein intelligent" (intelligent design) contestent le monopole du darwinisme sur l'enseignement des origines de l'homme, et, sans référence explicite à un créateur, ils prônent l'existence d'une "cause première" ayant présidé à l'apparition de la vie sur Terre.
L'Angleterre est également touchée. Le créationniste australien John Mackay y donne des conférences dans les écoles publiques et les universités. La Royal Society tout comme l'archevêque de Canterbury ont pris position contre l'enseignement du néocréationnisme à l'école, et le syndicat national des enseignants réclame de nouvelles lois protectrices. Le 21 juin, les académies nationales des sciences de soixante-sept pays, dont la France, ont signé un appel pour alerter parents et enseignants. Les "preuves scientifiques, les données et les théories vérifiables sur les origines et l'évolution de la vie sur Terre" présentées dans les cours de sciences de certains établissements publics sont "masquées, niées ou confondues" avec des "théories non vérifiables par la science", indique cet appel de l'Interacademy Panel (IAP).
En France, l'UIP focalise tous les soupçons. Association loi 1901, cette université ne décerne aucun diplôme mais organise des conférences payantes dans une salle discrète d'un mouvement chrétien de la rue de Varenne, à Paris, ou dans l'amphithéâtre Guizot de la Sorbonne. Outre les cotisations des 1 250 adhérents revendiqués, son budget est alimenté à hauteur d'environ 1 million d'euros par an par la Fondation américaine John Templeton.
Cette dernière décerne chaque année un prix doté de 1,4 million de dollars (environ 1 million d'euros) à un scientifique distingué pour ses travaux sur les "réalités spirituelles". La fondation finance, dans le monde entier, des recherches "à la frontière de la théologie et de la science". C'est justement le domaine de prédilection de l'UIP, créée fin 1995 sur les cendres de l'Université européenne de Paris (UEP), fondée en 1989 pour succéder à l'Université populaire de Paris (UPP).
Jean Staune, fondateur, secrétaire général et véritable cheville ouvrière de l'UIP, s'ingénie à brouiller les pistes lorsqu'il s'agit de définir les objectifs de l'association. Une prudence de jésuite qui s'explique par la valse des sponsors de l'association. Soutenue à ses débuts par des entreprises prestigieuses (L'Oréal, Auchan, France Télécom, Air France, EDF...), elle a été progressivement abandonnée par ces soutiens en raison des soupçons de néocréationnisme qui pèsent sur elle. De peur de perdre les sponsors qui lui restent, le secrétaire général refuse désormais de citer ceux qui continuent de le parrainer.
Personnage protéiforme, Jean Staune se présente comme "maître de conférences à HEC, enseignant la philosophie des sciences en MBA". En réalité, il y est vacataire, chargé d'enseignement en formation continue de cadres et dirigeants dans un programme spécifique vendu aux entreprises et ne concernant pas les étudiants de l'école. Ses cours à HEC ne sont donc guère éloignés de l'activité de consultant en management du fondateur de la SARL Jean Staune International. La société "organise des séminaires en entreprise pour vulgariser auprès des dirigeants les nouveaux concepts scientifiques", explique-t-il.
Jean Staune bâtit ainsi de complexes et tortueuses analyses des avancées récentes de la science, et surtout de ses failles. Tout y passe, des découvertes de la mécanique quantique et des "incertitudes" qu'elles introduisent dans la physique, au théorème de Godel, qui démontre que même les systèmes formels les plus abstraits comme les mathématiques contiennent des propositions indécidables... Evitant soigneusement de prononcer le nom de Dieu, la dialectique parfaitement rodée sous-entend en permanence sa possibilité. Son objectif semble se limiter à tenter d'instiller le soupçon de son existence.
Les conférences de Jean Staune confinent au show de prédicateur d'un nouveau type, maniant les concepts scientifiques à la place des textes religieux. L'assistance, tendance troisième âge, semble fascinée par ses démonstrations. Le bombardement de références bibliographiques et la convocation de grands noms de la science, si possible Prix Nobel, semble faire son effet...
Parmi ces noms prestigieux, Charles Townes, Nobel de physique en 1964 et inventeur, en 1954, du maser, précurseur du laser, a rendu hommage à l'UIP lors de son 10e anniversaire, en 2005. La même année, pour ses 90 ans, Charles Townes répondait aux questions de l'université de Berkeley. Le physicien ne cache pas son soutien au "dessein intelligent", qu'il place au même niveau que l'évolution.
L'intelligent design, si on le considère d'un point de vue scientifique, semble être tout à fait réel", déclare-t-il en adhérant aux interprétations métaphysiques du principe cosmologique anthropique (un seul univers possible conçu dans le dessein de l'apparition des hommes). Jean Staune le rejoint. "Un créateur ne peut être exclu du champ de la science", déclare-t-il. Et de taxer ceux qui s'opposent à cette conception du principe anthropique d'"obscurantistes", et de les rendre responsables d'un potentiel et "vrai désamour" d'une science "en quête de sens".
Lors d'une de ses dernières conférences publiques, le 22 février, Jean Staune a ainsi brossé le tableau du "grand débat actuel sur la nature de l'évolution". Une vaste fresque épistémologique n'identifiant pas moins de neuf familles de pensée, des purs darwinistes comme les biologistes Daniel Bennett et Richard Dawkins et le sociobiologiste Edward Wilson aux avocats de l'intelligent design, tels le biochimiste Michael Behe, le biologiste moléculaire Doug Axe et le microbiologiste Scott Minnich, en passant par les défenseurs français de la "logique interne", la paléoanthropologue Anne Dambricourt-Malassé, le biologiste Jean Chaline et l'éthologiste Rémy Chauvin.La dernière catégorie, pour Jean Staune, rassemble les adeptes de l'"évolution quantique" qui, avec le biologiste Vasily Ogryzko, le biochimiste américain Lothar Schafer et le microbiologiste anglais John Joe Mc Fadden, estiment que les cellules vivantes sont issues de phénomènes quantiques à l'oeuvre dès la constitution de la Terre, et non de la chimie d'une soupe primordiale. Le panorama de Jean Staune a le mérite de décrire le vaste spectre des théories actuelles qui contestent le darwinisme, né en 1859. Il révèle sans doute aussi la confusion qui règne aujourd'hui dans les recherches en biologie et débride les imaginations.
Une situation trouble qui se prête aux dérives. La dernière en date a placé, fin 2005, l'UIP sur le devant de la scène. La diffusion sur Arte du film de Thomas Johnson Homo sapiens, une nouvelle histoire de l'homme a en effet braqué les projecteurs sur les travaux d'Anne Dambricourt-Malassé. Chargée de recherche au CNRS et rattachée au Muséum d'histoire naturelle, elle présente dans ce documentaire sa théorie d'une logique interne à l'oeuvre, selon elle, dans les mécanismes de l'évolution du singe vers l'homme et fondée sur les modifications de la forme d'un os du crâne, le sphénoïde.
L'Angleterre est également touchée. Le créationniste australien John Mackay y donne des conférences dans les écoles publiques et les universités. La Royal Society tout comme l'archevêque de Canterbury ont pris position contre l'enseignement du néocréationnisme à l'école, et le syndicat national des enseignants réclame de nouvelles lois protectrices. Le 21 juin, les académies nationales des sciences de soixante-sept pays, dont la France, ont signé un appel pour alerter parents et enseignants. Les "preuves scientifiques, les données et les théories vérifiables sur les origines et l'évolution de la vie sur Terre" présentées dans les cours de sciences de certains établissements publics sont "masquées, niées ou confondues" avec des "théories non vérifiables par la science", indique cet appel de l'Interacademy Panel (IAP).
En France, l'UIP focalise tous les soupçons. Association loi 1901, cette université ne décerne aucun diplôme mais organise des conférences payantes dans une salle discrète d'un mouvement chrétien de la rue de Varenne, à Paris, ou dans l'amphithéâtre Guizot de la Sorbonne. Outre les cotisations des 1 250 adhérents revendiqués, son budget est alimenté à hauteur d'environ 1 million d'euros par an par la Fondation américaine John Templeton.
Cette dernière décerne chaque année un prix doté de 1,4 million de dollars (environ 1 million d'euros) à un scientifique distingué pour ses travaux sur les "réalités spirituelles". La fondation finance, dans le monde entier, des recherches "à la frontière de la théologie et de la science". C'est justement le domaine de prédilection de l'UIP, créée fin 1995 sur les cendres de l'Université européenne de Paris (UEP), fondée en 1989 pour succéder à l'Université populaire de Paris (UPP).
Jean Staune, fondateur, secrétaire général et véritable cheville ouvrière de l'UIP, s'ingénie à brouiller les pistes lorsqu'il s'agit de définir les objectifs de l'association. Une prudence de jésuite qui s'explique par la valse des sponsors de l'association. Soutenue à ses débuts par des entreprises prestigieuses (L'Oréal, Auchan, France Télécom, Air France, EDF...), elle a été progressivement abandonnée par ces soutiens en raison des soupçons de néocréationnisme qui pèsent sur elle. De peur de perdre les sponsors qui lui restent, le secrétaire général refuse désormais de citer ceux qui continuent de le parrainer.
Personnage protéiforme, Jean Staune se présente comme "maître de conférences à HEC, enseignant la philosophie des sciences en MBA". En réalité, il y est vacataire, chargé d'enseignement en formation continue de cadres et dirigeants dans un programme spécifique vendu aux entreprises et ne concernant pas les étudiants de l'école. Ses cours à HEC ne sont donc guère éloignés de l'activité de consultant en management du fondateur de la SARL Jean Staune International. La société "organise des séminaires en entreprise pour vulgariser auprès des dirigeants les nouveaux concepts scientifiques", explique-t-il.
Jean Staune bâtit ainsi de complexes et tortueuses analyses des avancées récentes de la science, et surtout de ses failles. Tout y passe, des découvertes de la mécanique quantique et des "incertitudes" qu'elles introduisent dans la physique, au théorème de Godel, qui démontre que même les systèmes formels les plus abstraits comme les mathématiques contiennent des propositions indécidables... Evitant soigneusement de prononcer le nom de Dieu, la dialectique parfaitement rodée sous-entend en permanence sa possibilité. Son objectif semble se limiter à tenter d'instiller le soupçon de son existence.
Les conférences de Jean Staune confinent au show de prédicateur d'un nouveau type, maniant les concepts scientifiques à la place des textes religieux. L'assistance, tendance troisième âge, semble fascinée par ses démonstrations. Le bombardement de références bibliographiques et la convocation de grands noms de la science, si possible Prix Nobel, semble faire son effet...
Parmi ces noms prestigieux, Charles Townes, Nobel de physique en 1964 et inventeur, en 1954, du maser, précurseur du laser, a rendu hommage à l'UIP lors de son 10e anniversaire, en 2005. La même année, pour ses 90 ans, Charles Townes répondait aux questions de l'université de Berkeley. Le physicien ne cache pas son soutien au "dessein intelligent", qu'il place au même niveau que l'évolution.
L'intelligent design, si on le considère d'un point de vue scientifique, semble être tout à fait réel", déclare-t-il en adhérant aux interprétations métaphysiques du principe cosmologique anthropique (un seul univers possible conçu dans le dessein de l'apparition des hommes). Jean Staune le rejoint. "Un créateur ne peut être exclu du champ de la science", déclare-t-il. Et de taxer ceux qui s'opposent à cette conception du principe anthropique d'"obscurantistes", et de les rendre responsables d'un potentiel et "vrai désamour" d'une science "en quête de sens".
Lors d'une de ses dernières conférences publiques, le 22 février, Jean Staune a ainsi brossé le tableau du "grand débat actuel sur la nature de l'évolution". Une vaste fresque épistémologique n'identifiant pas moins de neuf familles de pensée, des purs darwinistes comme les biologistes Daniel Bennett et Richard Dawkins et le sociobiologiste Edward Wilson aux avocats de l'intelligent design, tels le biochimiste Michael Behe, le biologiste moléculaire Doug Axe et le microbiologiste Scott Minnich, en passant par les défenseurs français de la "logique interne", la paléoanthropologue Anne Dambricourt-Malassé, le biologiste Jean Chaline et l'éthologiste Rémy Chauvin.La dernière catégorie, pour Jean Staune, rassemble les adeptes de l'"évolution quantique" qui, avec le biologiste Vasily Ogryzko, le biochimiste américain Lothar Schafer et le microbiologiste anglais John Joe Mc Fadden, estiment que les cellules vivantes sont issues de phénomènes quantiques à l'oeuvre dès la constitution de la Terre, et non de la chimie d'une soupe primordiale. Le panorama de Jean Staune a le mérite de décrire le vaste spectre des théories actuelles qui contestent le darwinisme, né en 1859. Il révèle sans doute aussi la confusion qui règne aujourd'hui dans les recherches en biologie et débride les imaginations.
Une situation trouble qui se prête aux dérives. La dernière en date a placé, fin 2005, l'UIP sur le devant de la scène. La diffusion sur Arte du film de Thomas Johnson Homo sapiens, une nouvelle histoire de l'homme a en effet braqué les projecteurs sur les travaux d'Anne Dambricourt-Malassé. Chargée de recherche au CNRS et rattachée au Muséum d'histoire naturelle, elle présente dans ce documentaire sa théorie d'une logique interne à l'oeuvre, selon elle, dans les mécanismes de l'évolution du singe vers l'homme et fondée sur les modifications de la forme d'un os du crâne, le sphénoïde.