par Laurent MAURIAC
LIBERATION, New York de notre correspondant
Darwin contre Dieu, la bagarre continue dans les écoles américaines. Dimanche, plus de 300 enseignants étaient invités par l'American Association for the Advancement of Science (AAAS), une grande association scientifique, pour l'épauler dans son combat. Leur objectif : bannir l'intelligent design (dessein intelligent) de l'enseignement. Cette théorie, défendue par certains groupes religieux, veut que la vie soit trop complexe pour ne pas avoir été aidée dans son développement par une force extérieure, Dieu par exemple.
En décembre, au terme d'un procès très attendu à Harrisburg (Pennsylvanie), un juge a décidé que cette théorie, n'étant pas de nature scientifique et visant à promouvoir le christianisme, devait être exclue des cours de biologie d'une école. Une victoire surtout symbolique, aucune décision ne pouvant contraindre l'ensemble des établissements scolaires américains. C'est ainsi que le Kansas a décidé, en août, d'introduire le «dessein intelligent» dans l'enseignement, au motif que «l'évolution est acceptée par beaucoup de scientifiques mais mise en doute par certains» et qu'il est «important que les élèves prennent connaissance de ces débats».
Alternatives. George Bush lui-même avait repris à son compte cet argument, estimant en août que «les deux côtés devraient être enseignés» pour que «les gens comprennent le sujet du débat». Ce week-end, l'AAAS a dénoncé toute action qui aurait pour conséquence de saper l'enseignement de la théorie de l'évolution et de «priver les étudiants de la formation dont ils ont besoin». L'association recense quatorze lois en préparation dans les Etats américains qui, selon son président Gilbert Omenn, un professeur de médecine, «affaibliraient l'enseignement de la science». Ces lois ont en commun, estime l'AAAS, soit de discréditer la théorie de l'évolution en pointant des faiblesses ou des dissensions entre scientifiques, soit d'encourager l'exploration de théories alternatives, en l'occurrence celle du dessein intelligent.
L'association compte également sur des soutiens religieux. La science et la religion «n'ont pas besoin d'être incompatibles», insiste-t-elle, chacune soulevant «des questions différentes au sujet du monde». C'est aussi l'argumentation développée dans une lettre ouverte par un collectif de prêtres et de pasteurs. Lancée à l'automne 2004 à l'initiative de Michael Zimmerman, doyen à l'université de Wisconsin Oshkosh, elle a recueilli 10 000 signatures. Remarquant que la majeure partie des chrétiens «ne lisent pas la Bible littéralement, comme un manuel de science», la lettre différencie la «vérité religieuse», dont le but est de «transformer les coeurs»,«vérité scientifique». Autrement dit, contrairement à ce que pense Bush, il ne peut y avoir de débat entre ces deux vérités «très différentes mais complémentaires». Les signataires affirment que la théorie de l'évolution est «une vérité scientifique fondamentale» et demandent aux écoles de préserver l'intégrité du curriculum scientifique.
«Mélange toxique». Le site web de cette initiative (1) recense plusieurs dizaines de sermons de prêtres qui la soutiennent. David Leininger, un pasteur à Warren (Pennsylvanie), voit dans cette controverse mêlant religion, science et politique un «mélange toxique». Près de 450 prêtres à travers le pays ont célébré à leur manière, le dimanche 12 février, l'anniversaire de la naissance de Darwin en persuadant leurs fidèles qu'ils n'avaient pas besoin de faire un choix entre leur foi en Dieu et leur confiance dans la science.
(1) www.uwosh.edu/colleges/cols/clergy_project.htm