02 août 2005

Des abstractions et des faits

Dans le dictionnaire, la définition du mot «abstraction» tourne autour de «concept», de «théorie». Parfois ce mot prend un aspect péjoratif, désignant alors des idées n’ayant que peu de rapport avec la réalité physique, observable.
Au contraire, la définition du mot «fait» tourne autour de «réalité», «d’incontestable», «d’objectivité», etc.
Alors nous avons pris pour habitude d’opposer ces deux mots et de les considérer comme irréconciliables, en imposant ainsi un faux dilemme («ou bien c’est un fait, ou bien c’est une abstraction»), le plus souvent en considérant l’abstraction dans son sens péjoratif.
Ainsi, cette opposition plus ou moins explicite permet de considérer que les théories scientifiques (principalement des abstractions, donc) sont équivalentes aux autres théories (puisque ce sont également des abstractions). Par exemple, la théorie (scientifique) de l’Evolution serait équivalente à la théorie de l’Intelligent Design (existence d’un créateur ultime pour expliquer la complexité de l’univers) ou du Créationnisme (création du monde littéralement comme il est écrit dans la Bible des chrétiens). C’est d’ailleurs ainsi qu’aux USA, les tenants de ces deux dernières théories essayent de les imposer dans les livres et les cours de biologie.
Mettre au même niveau les abstractions scientifiques et celles des théories sans fondement autre que des croyances personnelles ne peut conduire qu’à des absurdités. Pour les sceptiques, cela peut devenir un véritable bâton pour se faire battre, comme conséquence logique du faux dilemme opposant abstractions et faits.
Pourtant, cette opposition est factice.
Personne n’ayant jamais observé un fait au microscope (façon de parler), il faut bien admettre la nature abstraite de ceux-ci. «2+2=4» est un fait arithmétique, pourtant cette formulation est très abstraite par rapport à la formulation «2 pommes et deux pommes font quatre pommes». «2+2=5» est également une abstraction, mais ce n’est plus un fait arithmétique.
Allons plus loin encore et considérons les faits de la vie courante, ce que nous appellerons plutôt «observations».Nous avons toujours tendance à considérer ces observations comme des réalités incontournables. Pourtant, celles-ci sont abstraites par nos sens (vision, audition, etc.) à partir d’une réalité physique plus complexe. Nous ne percevons pas directement la radioactivité, pourtant sa réalité physique peut nous tuer ou nous contaminer. Inversement, nous percevons certaines illusions d’optique, tout en sachant que ce ne sont que des illusions.
Ainsi, nos observations, nos faits de la vie courante, sont déjà des abstractions de la réalité physique, celle dont la science physique parle (très abstraitement) en termes de particules, d’ondes, etc. C’est encore plus vrai des faits qui ne sont pas directement liés à une observation.
Il n’existe donc pas de sac dans lequel on pourrait mettre l’ensemble de nos abstractions d’une part, l’ensemble des faits d’autre part. Ces deux ensembles ne sont pas séparables.
Pourtant certaines de ces abstractions se réfèrent à la réalité physique comme vérité ultime, véritable juge de paix qui nous mettra finalement tous d’accord. Elles font partie des sciences de la nature, physique, chimie, biologie moléculaire, etc. D’autres appartiennent au domaine des croyances et ne recherchent pas le support de la réalité physique, mais celui de la foi, religieuse, personnelle, ou de la tradition, allant jusqu’à nier toute réalité aux expériences démontrant la fausseté de ces croyances, tel l’Eglise Catholique demandant à Galilée de renier ses affirmations hérétiques, les créationnistes affirmant la présence humaine avant celle des animaux malgré les preuves des fossiles, les astrologues et leurs prévisions qui ‘réussissent’ aussi bien que le pur hasard.
C’est dans cette opposition-là qu’il convient de trouver ce qui différencie les sceptiques des croyants et non dans un faux dilemme «abstractions»/« faits».

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