01 mai 2005

Du canular au complot

Au début était la rumeur, limitée par le bouche-à-oreille, puis vinrent les mass media et dernièrement l’Internet. Un ordre de magnitude dans la rapidité de diffusion était franchi à chaque fois. Au début, c’étaient les limites de la transmission d’une personne à l’autre qui faisait que la rumeur s’éteignait progressivement. Avec les mass media, c’était l’éthique des professionnels qui servait de contre-feu, chacun étant à la fois pyromane et pompier. Avec la structure ‘anarchiste’ de l’Internet, il n’existe actuellement rien de tout cela. Il n’y existe aucun mécanisme de régulation, d’autocontrôle. La rumeur peut partir d’une seule personne et faire le tour de la Terre en quelques jours, influençant des millions de personnes. Ainsi, ce qui n’aurait été qu’une anecdote vite oubliée prend ainsi une ‘vie’ autonome, tel un virus Ebola, disparaissant et réapparaissant ailleurs. Là où les vers informatiques exploitent les failles de nos systèmes pour se propager impunément, les rumeurs se propagent en exploitant les failles personnelles de nos systèmes de croyance, notre crédulité.
Certaines des rumeurs sont drôles et exploitent notre tendance à rire et faire rire pour nous inciter à la retransmettre à nos correspondants. Ainsi, le message qui présentait la soi-disant ‘une’ du journal El Moudjahid, annonçant la mort du Pape et présentant ses condoléances à son épouse et ses enfants, est un bon exemple de ce genre de canular. Comme beaucoup d’histoires drôles, elle a un aspect plus sombre, jouant sur une tendance à croire que les journalistes Algériens sont ignorants des institutions catholiques. Ces histoires deviennent parfois des légendes urbaines, reprises régulièrement avec une aura de vérité qui augmente à mesure que le temps passe et qu’elle échappe au contrôle de son auteur.
D’autres rumeurs exploitent notre ignorance dans un domaine, se présentant comme émanant d’une autorité, tel le message nous demandant d’effacer le fichier jdbmgr.exe de notre système qui serait un virus dangereux, en fait un fichier parfaitement légitime et inoffensif. Le schéma est classique : un message arrive dans nos boîtes aux lettres électroniques, nous demandant d’effacer un fichier car celui-ci est une menace. Ce message se présente comme émanant d’une autorité (en fait inexistante) et nous est retransmis par une personne de notre entourage en qui nous avons confiance, bien qu’il ne soit pas un expert dans le domaine informatique. C’est l’argument d’appel à l’autorité qui joue ici à plein.
D’autres rumeurs exploitent la tendance à la suspicion envers la politique et les gouvernements et nous en arrivons aux théories du complot. Le monde à l’envers : utiliser la suspicion et le doute pour mieux susciter la crédulité. Notre volonté de croire au complot, et non notre doute légitime en face d’une information, nous fait tomber dans le panneau. Ce sont les plus dangereuses et les plus lâches des rumeurs, n’hésitant pas à calomnier anonymement.
Dans cette catégorie citons, parmi les plus récentes, la rumeur contre le vaccin de la polio qui a trouvé un écho favorable dans les régions musulmanes du Nigeria, avec les conséquences que l’on connaît. La rumeur a pris comme origine un incident sur un lot de vaccins contre la polio, repris par l’extrême droite américaine pour soutenir une rumeur antisémite, rumeur qui a trouvé un écho parmi les intégristes musulmans, pour finir par leur causer du tort : la plupart des victimes ont en effet été contaminées au nord Nigeria parmi les populations musulmanes, puis parmi ceux qui y ont voyagé et suite à un pèlerinage à La Mecque.
Citons également le complot du 11 septembre qui aurait été planifié par les Américains eux-mêmes pour monter leur opinion publique en vue d’une guerre contre les musulmans, la réélection de Bush Jr et le contrôle du pétrole pakistanais, irakien, etc. Cette rumeur a été reprise quelques mois plus tard par Thierry Meyssan, dans un livre qui a été un succès populaire en dépit des gigantesques failles d’une ‘enquête’ faite dans un fauteuil par un auteur inexpérimenté dans le domaine. Cette affaire aura eu le mérite de précipiter la déchéance du groupe de Thierry Meyssan, le Réseau Voltaire, après une courte période de popularité injustifiée.
Comment se défendre contre de telles rumeurs ? C’est plus simple qu’il n’y paraît. Internet ne possède aucun mécanisme de contrôle, mais on y trouve le meilleur comme le pire, et surtout le moyen de trouver l’un comme l’autre. Au lieu de subir passivement les rumeurs qui nous parviennent, nous pouvons mener une contre-enquête et vérifier que nos sources d’information sont fiables. Les moyens d’investigation sont fournis par les moteurs de recherche et par certains sites spécialisés, qui nous mâchent le travail, comme l’excellent Hoaxbuster (http://www.hoaxbuster.com/) . Ainsi, ce site nous explique qu’il n’y a aucune raison d’écraser un fichier de notre système parce qu’un inconnu nous le demande. Une simple recherche Internet sur les rumeurs contre le vaccin de la polio aurait montré aux autorités musulmanes du Nigeria que leurs sources n’étaient pas dignes de foi. De simples recherches auraient permis à tous de vérifier que les rumeurs reprises par Thierry Meyssan ne reposaient sur rien de sérieux, qu’elles avaient aussi pour origine les réseaux néo-Nazis américains, reprises une fois de plus en cœur par les milieux intégristes musulmans. De façon assez amusante, Thierry Meyssan a ensuite eu l’occasion de prêcher la bonne parole dans ces milieux intégristes, qui avaient sans doute oublié qu’ils avaient eux-mêmes contribué à répandre cette rumeur.