Pour l'avocat, le principe de précaution invoqué par la justice pour démonter une antenne-relais n'est fondé ni juridiquement ni philosophiquement.
Avec l'arrêt rendu le 4 février 2009 par la cour d'appel de Versailles, imposant à Bouygues Telecom de démonter une antenne-relais située à proximité d'habitations à Tassin-la-Demi-Lune dans le Rhône, les «diseurs de mauvaise aventure» tiennent une belle victoire. Le juge a en effet estimé que l'incertitude sur l'innocuité (qui est impossible à démontrer : on ne peut tout simplement pas prouver expressément qu'un risque n'existe pas !) d'une exposition aux ondes émises par les antennes-relais est «sérieuse et raisonnable» et que, les voisins de cette antenne ne pouvant se voir garantir une absence de risque sanitaire, «justifient être dans une crainte légitime constitutive d'un trouble».
La cessation du préjudice moral résultant de «l'angoisse créée et subie» par le voisinage du fait de l'installation de l'antenne-relais imposerait donc le démantèlement de celle-ci et le paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage.Et c'est ainsi que la simple «angoisse» (sic) de quelques voisins - et non la démonstration scientifique de l'existence d'un trouble sanitaire véritable - suffit à motiver l'injonction de démonter et l'indemnisation des supposées victimes. Habilement rédigé, l'arrêt - d'espèce et excessivement factuel - ne résiste pas à l'analyse.
Sur le plan scientifique, d'abord. Les antennes-relais ont la même puissance et le même effet que les réseaux de communication nous permettant d'écouter la radio partout en France depuis 50 ans, sans que quiconque ne s'en affole (à raison). Dans le cas contraire, n'aurait-on pas, déjà, ordonné l'évacuation du Champ-de-Mars ou fait démonter la tour Eiffel, dont les émetteurs de radio et de télévision ont une puissance totale 10 000 fois supérieure à celle d'une antenne-relais ? Ce n'est pas parce que les ondes sont invisibles qu'elles sont nocives : il est temps de retrouver ses esprits.
Juridiquement, ensuite. L'existence d'un «trouble» de voisinage s'apprécie, en droit, au regard de ce que l'homme raisonnable ressentirait. Or la raison, éclairée par la science, commande de ne pas se troubler… L'absence de trouble objectif aurait dû faire échec à l'action des riverains.
Sur le terrain de la responsabilité pour faute, si l'on peut concevoir que l'angoisse - infondée mais nul n'est maître, fort heureusement, des émois d'autrui - de ces derniers face à des risques putatifs pouvait permettre de constater une forme de préjudice moral, aucune responsabilité ne pouvait en être déduite sans fait générateur ostensiblement prouvé.
Au plan philosophique, le principe de précaution, invoqué ici de manière indirecte, n'a pas fondé cette décision. Mais il apparaît bien en creux. Creux : un adjectif qui colle parfaitement à cette règle caractérisant notre «société de la peur» et supposée fournir aux autorités les moyens de gérer l'incertitude et, plus précisément, de prendre des mesures conservatoires «proportionnées et provisoires» dans le cas «où la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement». Le flou juridique qui caractérise cette notion (mesures proportionnées à quoi ? - à quelque chose d'incertain ? - mais comment mesurer l'incertain ? - et comment découvrir le caractère irréversible d'un dommage potentiel ? etc.) devient d'autant plus préoccupant quand il passe des autorités publiques au juge.
Au plan économique, il en résulte un manque d'harmonisation du droit applicable sur un territoire et donc de prévisibilité des investissements, de distorsion de concurrence (ici un opérateur est touché et pas ses concurrents, qui le seront peut-être demain, dans un autre lieu et par une autre juridiction - ou pas) et de contradiction avec d'autres normes qui s'imposent aux sociétés de téléphonie mobile. Ainsi, quand l'État impose à ces dernières de couvrir au minimum 99 % de la population française avec 90 % de taux de réussite à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments, le conflit d'obligations provoqué par cet arrêt, qui vient en contradiction avec quatre autres décisions de cours d'appel et plusieurs arrêts du Conseil d'État, brouille - sans mauvais jeu de mot - la marche à suivre.
Entre un mal fantasmatique et un bien - individuel et collectif - avéré, dans une société profitant des progrès techniques et ayant pleinement intégré l'usage du téléphone mobile dans la vie quotidienne, seule l'autorité publique peut, à ce stade, trancher définitivement la question des antennes-relais. On ne peut, avant cela, laisser aux juges la liberté de déplacer à leur guise les bornes de la réglementation et instaurer la cacophonie là où chacun s'attachait à ce que l'on communique mieux partout en France.
A lire : Pourquoi avons-nous peur de la technologie ? de Daniel Boy
Avec l'arrêt rendu le 4 février 2009 par la cour d'appel de Versailles, imposant à Bouygues Telecom de démonter une antenne-relais située à proximité d'habitations à Tassin-la-Demi-Lune dans le Rhône, les «diseurs de mauvaise aventure» tiennent une belle victoire. Le juge a en effet estimé que l'incertitude sur l'innocuité (qui est impossible à démontrer : on ne peut tout simplement pas prouver expressément qu'un risque n'existe pas !) d'une exposition aux ondes émises par les antennes-relais est «sérieuse et raisonnable» et que, les voisins de cette antenne ne pouvant se voir garantir une absence de risque sanitaire, «justifient être dans une crainte légitime constitutive d'un trouble».
La cessation du préjudice moral résultant de «l'angoisse créée et subie» par le voisinage du fait de l'installation de l'antenne-relais imposerait donc le démantèlement de celle-ci et le paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage.Et c'est ainsi que la simple «angoisse» (sic) de quelques voisins - et non la démonstration scientifique de l'existence d'un trouble sanitaire véritable - suffit à motiver l'injonction de démonter et l'indemnisation des supposées victimes. Habilement rédigé, l'arrêt - d'espèce et excessivement factuel - ne résiste pas à l'analyse.
Sur le plan scientifique, d'abord. Les antennes-relais ont la même puissance et le même effet que les réseaux de communication nous permettant d'écouter la radio partout en France depuis 50 ans, sans que quiconque ne s'en affole (à raison). Dans le cas contraire, n'aurait-on pas, déjà, ordonné l'évacuation du Champ-de-Mars ou fait démonter la tour Eiffel, dont les émetteurs de radio et de télévision ont une puissance totale 10 000 fois supérieure à celle d'une antenne-relais ? Ce n'est pas parce que les ondes sont invisibles qu'elles sont nocives : il est temps de retrouver ses esprits.
Juridiquement, ensuite. L'existence d'un «trouble» de voisinage s'apprécie, en droit, au regard de ce que l'homme raisonnable ressentirait. Or la raison, éclairée par la science, commande de ne pas se troubler… L'absence de trouble objectif aurait dû faire échec à l'action des riverains.
Sur le terrain de la responsabilité pour faute, si l'on peut concevoir que l'angoisse - infondée mais nul n'est maître, fort heureusement, des émois d'autrui - de ces derniers face à des risques putatifs pouvait permettre de constater une forme de préjudice moral, aucune responsabilité ne pouvait en être déduite sans fait générateur ostensiblement prouvé.
Au plan philosophique, le principe de précaution, invoqué ici de manière indirecte, n'a pas fondé cette décision. Mais il apparaît bien en creux. Creux : un adjectif qui colle parfaitement à cette règle caractérisant notre «société de la peur» et supposée fournir aux autorités les moyens de gérer l'incertitude et, plus précisément, de prendre des mesures conservatoires «proportionnées et provisoires» dans le cas «où la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement». Le flou juridique qui caractérise cette notion (mesures proportionnées à quoi ? - à quelque chose d'incertain ? - mais comment mesurer l'incertain ? - et comment découvrir le caractère irréversible d'un dommage potentiel ? etc.) devient d'autant plus préoccupant quand il passe des autorités publiques au juge.
Au plan économique, il en résulte un manque d'harmonisation du droit applicable sur un territoire et donc de prévisibilité des investissements, de distorsion de concurrence (ici un opérateur est touché et pas ses concurrents, qui le seront peut-être demain, dans un autre lieu et par une autre juridiction - ou pas) et de contradiction avec d'autres normes qui s'imposent aux sociétés de téléphonie mobile. Ainsi, quand l'État impose à ces dernières de couvrir au minimum 99 % de la population française avec 90 % de taux de réussite à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments, le conflit d'obligations provoqué par cet arrêt, qui vient en contradiction avec quatre autres décisions de cours d'appel et plusieurs arrêts du Conseil d'État, brouille - sans mauvais jeu de mot - la marche à suivre.
Entre un mal fantasmatique et un bien - individuel et collectif - avéré, dans une société profitant des progrès techniques et ayant pleinement intégré l'usage du téléphone mobile dans la vie quotidienne, seule l'autorité publique peut, à ce stade, trancher définitivement la question des antennes-relais. On ne peut, avant cela, laisser aux juges la liberté de déplacer à leur guise les bornes de la réglementation et instaurer la cacophonie là où chacun s'attachait à ce que l'on communique mieux partout en France.
A lire : Pourquoi avons-nous peur de la technologie ? de Daniel Boy
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