03 août 2008

Les sangsues épinglées


L'Express.fr - La thérapie par les sangsues: c'est l'une des nouvelles médecines à la mode. Difficile, pourtant, de trouver un praticien disposé à en parler. "Chasse aux sorcières" ou "charlatanisme"? Notre enquête.

"J'ai testé les sangsues": ça aurait pu être le pendant Internet du dossier de l'Express sur les médecines du bien-être. Nous devions expérimenter sur nous-mêmes les bienfaits de ces drôles de vampires. L'hirudothérapie, un sujet léger comme l'été.

Nous pensions pouvoir tester sans difficulté cette pratique de plus en plus répandue... et de plus en plus médiatisée. Las, les obstacles se sont multipliés.

Il faut d'abord savoir que la thérapie par les sangsues est un traitement long, qui se pratique surtout en chirurgie réparatrice et plastique. Peu propice à une séance éclair.

Par ailleurs, nous ne sommes pas parvenus, dans un premier temps, à trouver les coordonnées de médecins sur Paris, tous réticents à s'exprimer devant des journalistes pour des raisons de "déontologie". Pourquoi se cacher ainsi si la pratique est efficace?

Les autorités médicales (Conseil national de l'ordre des médecins, Académie de médecine, Haute autorité de la santé) ne reconnaissent pas l'hirudothérapie, alors même qu'elle est utilisée en hôpital.

Une pratique confidentielle

Nous ne sommes pas seuls en quête: nombre d'internautes demandent sur les forums médicaux où trouver un praticien spécialisé. Et ne trouvent aucune réponse.

Une solution? Contacter la société Ricarimpex, spécialisée, la seule en France, dans l'élevage des sangsues. On nous y dirige vers un praticien d'Aix-en-Provence, qui, lui, pratique à plaque découverte.

C'est avec une pointe d'ironie que le docteur Gillard évoque une "chasse aux sorcières". "Les médecins qui pratiquent l'hirudothérapie ne sont pas bien vus par leurs confrères. Je ne parle à personne de ce que je fais", explique-t-il.

Les mauvaises expériences, il n'en veut plus. Des clients, qui n'avaient pas réalisé ce que représente ce type de traitement, ont porté plainte devant l'ordre des médecins. Depuis, il est impossible de venir à son cabinet sans recommandation d'un autre patient: "C'est grâce au bouche à oreille que ma clientèle s'est constituée. Pour les sangsues, je ne prends pas n'importe qui, seulement les gens vraiment motivés".

Les hirudothérapeutes parisiens ne parlant pas aux journalistes, nous décidons de nous faire passer pour des patients. Et là, tout devient plus simple. Ricarimpex nous communique, sans même vérifier notre identité, les coordonnées d'un docteur en pharmacie.

Nous appelons le cabinet. Le médecin est en vacances, mais son assistante détaille sans rechigner le protocole. Après le premier rendez-vous, d'une durée de deux heures, pour établir un "bilan général", le patient doit suivre un traitement homéopathique d'une quinzaine de jours. Dans le même temps, il doit changer de régime alimentaire. L'application des sangsues, "remarquables pour combattre l'arthrose", commence à l'issue de cette période de préparation. Au programme, une séance de deux heures par mois pendant six mois.

A la question du prix, nous sommes estomaqués: la première consultation est à 100 euros. Le bilan général oblige... Puis, 50 euros pour les séances qui suivent. Sans compter le prix des sangsues!

Le point de vue des autorités médicales

L'hirudothérapie est-elle reconnue? Est-elle l'objet d'une interdiction? Le Conseil national de l'ordre des médecins estime que l'efficacité de l'hirudothérapie n'est pas scientifiquement prouvée.

Evelyne Acchiardi, attachée de presse du Conseil, affirme même ne jamais avoir entendu parler de recherches sur ce thème au sein de l'institution.

L'Académie Nationale de médecine est beaucoup moins clémente. Sans langue de bois, le professeur Jacques-Louis Binet considère qu'il s'agit de "charlatanisme". "C'est le retour à l'époque d'Hippocrate! On ne sait même pas d'où elles sortent, ces sangsues. C'est de la sorcellerie et, si les médecins se cachent, c'est bien que ce n'est pas une pratique anodine", s'emporte-t-il. Pourtant, certains hôpitaux les utilisent, comme au CHU de Nancy, en chirurgie plastique et réparatrice.

"Les sangsues servent en cas de problèmes de retour veineux, explique le Professeur Etienne Simon. Nous utilisons cette méthode très rarement, une à deux fois par an maximum. Mais la sangsue draine le sang. Elle est reconnue pour ses vertus anticoagulantes".

Aucun médecin que nous avons contacté n'a confirmé que les sangsues soulageaient l'arthrose, les varices ou les acouphènes.

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