08 avril 2006

Un manuscrit ancien défend l'honneur de Judas

Le Figaro

Jean-Michel Bader

Un texte datant du IIIe siècle présente Judas Iscariote comme le plus fidèle disciple de Jésus.

Judas ne serait pas le traître des Evangiles. Un manuscrit réhabilitant cet apôtre a été rendu public mercredi, lors d'une conférence de presse organisée par la National Geographic Society. Il date de la fin du IIIe ou du début du IVe siècle de notre ère. Il s'agirait de l'Evangile selon Judas, tel qu'il aurait été rapporté par l'apôtre. Une entreprise de restauration financée par les Américains et assurée par la Fondation Maecenas pour les arts anciens (Bâle, Suisse) a permis à une équipe de chercheurs et d'exégètes d'authentifier, de restaurer et de traduire le ou plutôt les manuscrits. L'ensemble contient en effet 66 pages dont une version de la première Apocalypse selon Jacques, une lettre de l'apôtre Pierre et un texte connu sous le titre de «livre des Allogènes». Mais surtout, le document comporte 13 pages manuscrites recto verso qui sont la traduction en copte d'un texte original écrit en grec ancien, par un membre d'une secte chrétienne, les gnostiques, peu avant l'an 180.

Ce sont des conversations privées entre Jésus et Judas l'Iscariote juste avant la Pâque. Jésus dit à Judas : «Tu surpasseras tous les autres. Car tu sacrifieras l'homme qui me sert d'habits» ; et également : «Je t'enseignerai les mystères du Royaume, ... mais pour cela, tu souffriras beaucoup.» Ce ne serait donc pas, comme l'affirment les quatre Evangiles canoniques, pour 30 deniers que Judas a vendu Jésus aux Romains : mais, selon le texte, pour l'aider à passer dans l'autre monde, à quitter son enveloppe d'homme. «C'est typique des textes d'inspiration gnostique, estime le père Antoine Guggenheim (école Cathédrale de Paris), que de mépriser ainsi l'ordre de la chair. Or contrairement aux Grecs, à Socrate en particulier, jamais Jésus n'a méprisé la chair.» Les exégètes précisent même que «Jésus, étant pleinement Dieu, ne pouvait demander à Judas de faire le mal (le trahir) pour obtenir le bien (le passage au royaume de son père)».

Découverte mystèrieuse

La découverte récente de textes gnostiques avait déjà ébranlé les certitudes évangéliques des chercheurs et révélé la grande diversité de croyances et de pratiques parmi les premiers chrétiens.

Le manuscrit a été découvert dans une grotte près d'El-Minya, en Egypte, au milieu des années 70, dans des conditions mystérieuses. Il est passé entre les mains de marchands d'antiquités égyptiens, européens et américains. En 1983, l'universitaire américain James Robinson se voit proposer le manuscrit par un antiquaire cairote : jamais il ne pourra réunir les 3 millions de dollars réclamés.

Alors qu'il y était en bon état au moment de sa découverte, le document a ensuite «pourri» dans le coffre humide d'une banque de Hicksville (New York) pendant seize ans. En 2000, une antiquaire de Zurich, Frieda Nussberger-Tchacos, le rachète, en très mauvais état. Elle tente en vain de le vendre et finit par en faire don à la Maecenas Foundation, qui, depuis cinq ans, a commencé sa restauration et sa traduction.

Le laboratoire de datation au carbone 14 de Tucson (Université d'Arizona), qui avait déjà authentifié les manuscrits de la mer Morte, a mesuré la quantité de radionucléides encore présents dans quatre échantillons du papyrus et un morceau du cuir de la couverture. «Les âges des papyrus et du cuir sont groupés entre le IIIe et le IVesiècle», soit entre les années 220 et 340, a annoncé Tim Jull, directeur du laboratoire. L'analyse au microscope électronique et en spectroscopie de l'encre du manuscrit donne une composition compatible avec les ingrédients de l'encre dite ferro-gallique de cette époque, qui contenait des sels biliaires, ainsi qu'une petite quantité de noir de suie (une nouveauté pour l'époque). Enfin, l'analyse en imagerie multispectrale, qui consiste en un bombardement des échantillons avec des lumières de fréquences et de longueurs d'onde différentes, a donné des images parfaitement compatibles avec celles de papyrus égyptiens de cette période. D'ailleurs, s'il s'agissait de faire un faux, à partir d'un vrai papyrus, il faudrait encore connaître la technique particulière d'écriture des Coptes de cette époque, et aussi la grammaire et la syntaxe. Aujourd'hui, une poignée d'universitaires seulement dans le monde en sont les dépositaires !

Cet Evangile de Judas est une vieille connaissance des historiens de la religion catholique. Le premier évêque de Lyon, saint Irénée (entre 130 et 202 après J.-C.), avait spécifiquement fustigé dans «Aversus Hoereses», la «fausse science» des gnostiques, ce groupe de chrétiens qui espéraient la révélation d'un secret pour s'extraire de leur prison charnelle pour retourner au royaume des cieux. «Ils produisent une fiction de genre historique, qu'ils nomment l'Evangile de Judas», s'indignait-il. Mais, après saint Irénée, la trace de l'Evangile de Judas avait été perdue.


Dans la série "on ne peut plus croire à rien", voici maintenant l'histoire de Judas. Alors, tous ces siècles d'antisémitisme chrétien seraient injustifiés ? Et si ça se trouve, nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans le domaine de l'exactitude des textes religieux.

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