Ces dernières années, nous avons pu observer une recrudescence des attaques contre les vaccinations (ROR, Hépatite B, etc.). Certaines de ces attaques utilisent des études cliniques alarmistes publiées dans des journaux scientifiques. Une étude clinique permet de tester un produit, un médicament, un aliment, un facteur environnemental etc., sur une population donnée, généralement pour en mesurer l’influence sur une pathologie.
Il est bon de rappeler quelques ‘évidences’ :
a) les scientifiques peuvent se tromper. Il n’est pas rare qu’une publication soit suivie d’une rétractation des auteurs.
b) certains journaux scientifiques sont moins cotés que d’autres : les meilleurs possèdent un comité de lecture constitué de scientifiques compétents qui relisent les articles et émettent leur avis avant toute publication (on parle de peer-reviewed journal). D’autres ne possèdent aucun comité de lecture.
c) certaines études cliniques présentent des défauts de conception scientifique. Ces failles sont assez facilement repérables, même par des non-initiés car les informations nécessaires figurent obligatoirement dans le résumé de l’étude qui est généralement publié en tête d’article. Nous allons détailler quelques-unes de ces failles dans la suite de cet article.
d) Enfin, certaines études cliniques sont financées par des groupes ayant un intérêt, généralement financier (groupe industriel) ou idéologique (groupe politique, sectaire). C’est parfois plus difficile à savoir, car certains auteurs restent discrets sur leurs sources de financement. Ce conflit d’intérêt (entre l’intégrité scientifique sur le résultat et la partialité du financeur) peut conduire un auteur à favoriser, même inconsciemment, un résultat plutôt qu’un autre. Généralement, cela suffit pour qu’un journal scientifique sérieux refuse la publication, s’il est averti de ce conflit d’intérêt.
Il suffit qu’une étude clinique présente un des problèmes mentionnés ci-dessus pour qu’elle soit mise en doute par la communauté scientifique, comme une preuve douteuse doit être rejetée par un jury.
Voici quelques-unes des failles les plus courantes du type mentionné au paragraphe c ci-dessus :
1) une étude statistique doit porter sur un nombre suffisant de cas. Il est difficile d’être plus précis sans savoir le phénomène sur lequel porte l’étude, mais typiquement cela se compte en centaines de personnes plutôt qu’en dizaines, pour pouvoir obtenir une significativité du résultat. Plus l’effet à démontrer est faible ou proche de l’effet placebo, plus il faudra augmenter le nombre de personnes participant à l’étude. La taille du groupe est généralement indiquée dans le résumé. Pour s’affranchir de ce problème on peut regrouper plusieurs études similaires en une seule méta-analyse, dont les résultats seront plus fiables. Néanmoins, une méta-analyse n’est pas une panacée pour faire du bon avec du mauvais (une méta-analyse fondée sur de mauvaises études ne fournira pas un bon résultat pour autant).
2) une étude doit comporter un groupe de contrôle (controlled study) qui indiquera quelles sont les valeurs ‘normales’ pour une population considérée. Ce groupe ne subit pas de traitement particulier et ses résultats sont comparés avec ceux du groupe traité. Chaque groupe doit avoir une taille suffisante pour valider un résultat statistique crédible.
3) une étude doit être conduite en double aveugle, dans la mesure du possible. Dans une étude en double aveugle (double-blind study), les intervenants ignorent les informations qui pourraient influencer les sujets et les sujets ignorent s’ils font partie du groupe de contrôle ou du groupe étudié. Par exemple, les médecins ignoreront quels patients ont reçu un médicament et quels autres ont reçu la pilule sucrée.
4) La répartition dans les différents groupes doit être effectuée de façon aléatoire (randomized test), sans connaissance des intervenants. Seul le statisticien de l’étude pourra reconstituer le puzzle en fin d’étude, sachant qui appartenait à quel groupe, ce qui assure l’objectivité de chacun.
5) les patients étant influençables par suggestion, on obtient parfois un effet placebo en donnant un faux médicament (généralement une pilule sucrée) en lieu et place d’un médicament faisant partie de l’étude. On peut alors mesurer l’effet placebo sur le groupe qui a reçu la pilule sucrée par rapport à celui qui n’a rien reçu. On parle d’étude « contre placebo ». Un médicament efficace doit obtenir un score significativement meilleur que le placebo, sans quoi il n’a aucune valeur thérapeutique. Remarque : l’effet placebo varie en fonction de plusieurs facteurs, dont le type de pathologie, l’environnement médical, le pouvoir de conviction des intervenants, etc. Il faut donc refaire l’étalonnage du placebo pour chaque nouvelle étude car il est très difficile de chiffrer l’effet placebo de façon universelle. Il faut également s’assurer que le traitement placebo ne peut pas être distingué du traitement réel par les patients ou les intervenants, sous peine d’invalider le double-aveugle.
6) Une étude statistique ne peut seule mesurer une causalité, sauf dans des cas très simplistes, qui n’existent virtuellement pas en médecine. Elles ne peuvent mesurer qu’une corrélation (voir l’éditorial du numéro de mars 2005 de Sens Commun).
En résumé, une bonne étude clinique portera sur un groupe de quelques centaines de personnes (selon les besoins statistiques), aura un groupe de contrôle (controlled study), sera conduite en double-aveugle (double-blind), ‘randomisée’ (randomized) et comparée à un placebo.
Résumé de l’étude Wakefield :
Summary
Background We investigated a consecutive series of children with chronic enterocolitis and regressive developmental disorder.
Methods 12 children (mean age 6 years [range 3-10], 11 boys) were referred to a paediatric gastroenterology unit with a history of normal development followed by loss of acquired skills, including language, together with diarrhoea and abdominal pain. Children underwent gastroenterological, neurological, and developmental assessment and review of developmental records.
Ileocolonoscopy and biopsy sampling, magnetic-resonance imaging (MRI), electroencephalography (EEG), and lumbar puncture were done under sedation.
Barium follow-through radiography was done where possible. Biochemical, haematological, and immunological profiles were examined.
Findings
Onset of behavioural symptoms was associated, by the parents, with measles, mumps, and rubella vaccination in eight of the 12 children, with measles infection in one child, and otitis media in another. All 12 children had intestinal abnormalities, ranging from lymphoid nodular hyperplasia to aphthoid ulceration. Histology showed patchy chronic inflammation in the colon in 11 children and reactive ileal lymphoid hyperplasia in seven, but no granulomas.
Behavioural disorders included autism (nine), disintegrative psychosis (one), and possible postviral or vaccinal encephalitis (two). There were no focal neurological abnormalities and MRI and EEG tests were normal. Abnormal laboratory results were significantly raised urinary methylmalonic acid compared with age-matched controls (p=0·003), low haemoglobin in four children, and a low serum IgA in four children.
Interpretation We identified associated gastrointestinal disease and developmental regression in a group of previously normal children, which was generally associated in time with possible environmental triggers.
Lancet 1998; 351: 637-41*
On constate l’absence de groupe de contrôle, l’absence de double-aveugle, le faible nombre de cas étudiés (12) et une association faite a priori avec la vaccination par les parents, donc par un raisonnement erroné de type « sophisme post hoc » (« c’est arrivé après, donc ça a été causé par… »).
Le Lancet est néanmoins un journal médical très réputé. Suite aux études qui ont invalidé les affirmations de l’étude Wakefield et la révélation d’un conflit d’intérêt (Wakefield était payé par des parents d’enfants autistes, pour une deuxième étude qui incluait des patients de la première, en vue d’une action en justice), le Lancet a présenté ses excuses. Les co-auteurs de l’étude se sont rétractés en exprimant leurs regrets pour les effets négatifs de la panique injustifiée soulevée au nom de leur étude, qui a provoqué une baisse spectaculaire de la couverture vaccinale, avec pour conséquence une épidémie de rougeole au Royaume Uni, de rubéole aux Pays-Bas.
Résumé de l’étude danoise ayant contredit les affirmations de l’étude Wakefield :
Reference
KM Madsen et al. A population-based study of measles, mumps and rubella vaccination and autism. New England Journal of Medicine 2002 347: 1477-1482.
Study
This was a retrospective study of all children born in Denmark between January 1991 to December 1998. In Denmark, a system of unique personal identification numbers, linked to vaccination registers and linked information about the diagnosis of autism makes almost complete follow up possible. A record review of 40 children with autism by a consultant in child psychiatry confirmed that 92% of children met operational criteria for autism.
The national Danish vaccination program recommends first vaccination a 15 months and again at 12 years.
Results
There were 440,655 children vaccinated, and 96,648 children who were unvaccinated. The mean age of vaccination was 17 months, and 99% of children vaccinated had their first vaccination before they were three years of age. The proportion of vaccinated boys and girls was the same, at 82%.
Table 1 shows the number and percent of children who developed autism or autistic spectrum disorders.
Table 1: Autism and MMR vaccination in Denmark
| Vaccinated | Unvaccinated |
Total | 440,655 | 96,648 |
Number with autism | 263 | 53 |
Percent with autism | 0.060 | 0.055 |
Number with autistic spectrum disorder | 345 | 77 |
Percent with autistic spectrum disorder | 0.078 | 0.080 |
Using person-years of exposure, there was no statistically significant difference between vaccinated and unvaccinated children for autism (relative risk 0.9, 95% confidence interval 0.7 to 1.2) or autistic spectrum disorders (relative risk 0.8, 0.7 to 1.1). There was no association between development of autism and age at vaccination (95% before two years of age) or the interval between vaccination and development of autism with no clustering at any particular time.
Groupe de 440665 enfants vaccinés, groupe de contrôle de 94648 enfants non vaccinés, pas de sélection des enfants inclus dans l’étude (tous les enfants nés de 1991 à 1998). Comme il s’agit d’une étude rétrospective, le double-aveugle n’a pas de sens (impossible de remonter dans le temps pour influencer les patients). Le New England Journal of Medicine est également un journal très coté. Son impact factor, une mesure de son influence dans les milieux scientifiques, est de 29,065 contre 13,251 pour le Lancet, en 2001.
Le résultat de l’étude montre l’absence totale de différence statistiquement significative entre les deux groupes, donc l’absence d’influence du MMR sur l’autisme.